Je suis très impressionné par le travail de Annie Vought, elle crée une troisième dimension que j’aime beaucoup : le texte, le mur et l’effet de la lumière sur ces derniers…..

Comment as-tu commencé? Comment t’es-tu imaginé en faisant ce type d’art?
J’adore le papier parce que c’est très délicat. Il me parle de quelque chose d’éphémère. Nous utilisions le papier comme support pour communiquer, d’une manière ou d’une autre, durant des siècles. Avant je peignais des tableaux mais je n’ai jamais arrivé à trouver ma voix dans la peinture. Chaque fois que je restais bloquée dans le processus de création, je faisais des collages pour me détendre. À cette époque, je travaillais pour un producteur de documentaires. Inspirée par ses films, j’ai commencé à enquêter sur différentes façons de raconter des histoires dans mon propre travail artistique. La combinaison des collages et de mes propres histoires racontées m’a aidé à arriver là où j’en suis aujourd’hui.

Tu crées un art avec des mots: qu’est-ce qu’ils signifient dans ton travail et dans ta vie ?
Ma « re »création de lettres et de mots est une recherche étendue sur la vie personnel de personnes et sur la façon dont ils expriment leurs pensées à travers l’écriture. Une lettre est une confirmation physique de qui nous sommes et de comment nous nous sentons au moment que nous l’écrivons, et parfois, la seule trace qui nous reste d’une personne ou d’une période déterminée.

Quel est le processus pour chaque pièce ? Comment commencez-vous ce procédé?
Je commence avec un dessin ou avec des lettres et des notes récréées méticuleusement que j’ai trouvés, écrits ou reçus. Ensuite, j’agrandis le document sur un autre format de papier et je découpe d’une manière complexe les espaces négatifs avec une lame X-acto. L’écriture et les lignes structurent le papier, ce qui donne une force sculptural au papier, malgré son apparence fragile. J’utilise environ 100 lames X-acto par jour.

Utilises-tu des textes vrais?
Quand j’utilise des lettres comme source pour mon travail, ce sont toujours des vraies lettres. J’ai une énorme collection, mes propres lettres et celles des inconnus. J’ai des centaines de cartes postales récupérées des puces, des vides greniers et de EBay. J’ai des lettres d’un vendeur qui écrivait à sa famille lorsqu’il parcourait les États-Unis en vendant des graines. J’ai un paquet d’environ 20 lettres d’amour d’un soldat appelé Bernard à sa “chère femme” pendant la Deuxième Guerre Mondiale et une poignée de lettres destinées à “Maman et Papa Holt” envoyées par le Sergent Bill depuis Saigon durant la guerre du Vietnam. Relire toutes ces lettres, mêmes celles qui m’étaient écrites, est hantant. C’est comme si j’examinée les restes des gens, moi-même inclue. La somme de toutes ces lettres me rappelle les erreurs et la nostalgie, l’amour et la perte. Pour moi les lettres sont des souvenirs positifs et négatifs. Je copie l’écriture et l’orthographe.

C’est un travail qui requiert beaucoup de patience, comme le fais-tu?
Je suis assez agitée comme personne, et pas très patient dans le reste de ma vie. Ceci étant dit, j’adore le processus lent de couper le papier. Quand je suis en train de travailler, j’écoute des livres audio et je bois du café pendant que mon chien s’allonge à mes pieds. C’est très reposant.

Tu crées des dessins spatiaux, qu’est-ce qui t’intéresse le plus, le texte ou la qualité tridimensionnelle de ton travail ?
Les deux. J’adore l’apparence des mots et du langage. Dans la calligraphie, le choix des mots, et l’orthographe l’auteur est souvent mis à nu. La trace de l’homme m’intéresse. Les lettres écrites à la main sont une chose, et les dessins et croquis une autre. Les histoires racontées et leurs concepts sont aussi très importants pour moi, même si parfois les pièces elles-mêmes sont assez difficiles à lire. Je les vois comme des sculptures. Je les accroche sur le bout des épingles, à 7cm du mur, pour qu’elles donnent l’impression de flotter. Cela permet de créer une ombre sur le mur. Sans l’aspect tridimensionnel, mon travail perd sa nature légère et délicate.

Vu que chaque pièce est unique, comment t’organises-tu ?
Chaque pièce que je fais est unique. Je ne les marque pas. Je fais des vidéos et des photographies de chaque pièce mais rien de plus. Peut-être je devrais commencer à le faire…

Et au niveau de l’argent ? Tu arrives toujours à faire en sorte à ce que ça marche ? ou est-ce quelque chose de peu d’importance pour toi ?
J’adorerais pouvoir toucher plus pour mon travail en ce moment. Je vends une grande partie de mes pièces mais par rapport au temps que je passe pour en produire une, je ne fais pas suffisamment assez d’argent. Je suis en train de lever les prix peu à peu. On me dit que je devrais avoir un assistant pour qu’il m’aide avec le travail, pour pouvoir créer plus de pièces, mais ça ne m’intéresse pas. C’est très difficile de gagner de l’argent comme artiste. Je n’aime pas me préoccuper par cela, ça peut avoir un effet négatif dans mon travail.

Quel serait ton projet idéal ?
J’aimerais bien un jour qu’on me donne la liberté de faire ce que je veux dans une grande salle de galerie ou de musée soit à Paris, Londres, New York ou Berlin. Le meilleur, ce serait de pouvoir avoir un an pour les préparatifs. Ça serait génial !

Qu’est-ce qu’est le plus difficile dans ton travail ?
Je doute souvent de moi-même, je suis mon pire ennemi… Je pense que je ne suis pas suffisamment intelligente ou assez bonne … blablabla… Donc quand je suis rejetée de quelque chose, ce qui ce passe assez souvent, toutes mes insécurités se confirment. Parfois je sens que mon travail n’est pas suffisamment conceptuel. J’espère juste que la source du matériel et l’esthétique visuelle attirent assez que les gens pour qu’ils prennent du temps devant l’œuvre et qu’ils puissent découvrir sa complexité et sa signification, qui n’est pas toujours très évidente. Je fais de mon mieux pour ignorer les voix négatives dans ma tête. Si non, je laisserais tout tomber. J’essaie toujours de me rappeler qu’il y a beaucoup de mondes artistiques, et que l’art touche tout le monde dans beaucoup de formes différentes. C’est tout un défi, un défi dans lequel je sais que je ne suis pas seule. Sur un autre sujet, il n’y a aucune carte ou aucun guide pour naviguer à travers tous les mondes de l’art. Nous devons essayer de survoler ce fait et de suivre les gens que nous admirons. L’école d’art ne m’a rien appris sur comment être une artiste travaillante.

Lequel a été ton plus grand succès ?
Je ne suis pas sûre d’en avoir déjà eu un… Depuis quelques j’arrive à m’en sortir en montrant et en vendant mon travail. J’ai reçu de très bonnes critiques dans diverses publications, et je suis fière de certains de mes expositions. J’ai été acceptée dans une résidence très prestigieuse (après avoir été rejetée à de multiples reprises). En combinant tout ceci, j’ai l’impression de l’avoir eu mon succès. Je n’ai pas encore accompli tous mes buts et c’est assez décourageant, mais je vais continuer à faire de l’art jusqu’à ce que je puisse plus en faire. Après j’aurais plus de temps pour réussir mes objectifs….

Quelle est ta prochaine étape ? Un autre projet en vue ?
J’ai une collaboration avec Hannah Ireland intitulé Double Zero. Nous collaborons d’une manière interdisciplinaire, basée sur notre amitié qui date de plus de 20 ans, qui explore comment l’identité de quelqu’un est formé par les personnes avec qui il s’entoure, les limites et les connections entre celles-ci, et les différentes façons de comment nous occupons l’espace dans le monde. Nous faisons principalement des sculptures et des vidéos. C’est très différent de mon travail en papier, mais cela me semble libérant et amusant. Nous venons de revenir d’une résidence de deux mois dans le Centre d’Arts Montalvo. Notre travail est en train de prendre vitesse et nous commençons à être très occupées. Je suis très motivé par le travail que nous faisons. Tu peux voir quelques vidéos ici…aquí.

Qu’est-ce que la beauté pour toi ?
Les espaces ouverts où tu peux voir à des kilomètres, les océans, les Crazy Mountains au Montana, les Lightning Fields au Nouveau Mexique, les dessins de Paul Klee, les sérigraphies de Josep Alber sur sa théorie de la couleur, le projet d’Enrique Martínez Celaya Celaya nommé “La Perle”, le son du vent, Beethoven, Bob Dylan, mon chien Moses, mon mari Scott. Manger des sandwichs durant une excursion, boire du vin en Italie, manger de tout en Italie, les paysages italiens, les photographies de la Terre, les photographies de la lune, le pardon et d’autres choses qui sonnent un peu ringard quand je parle d’elles…

Qu’est-ce que tu conseillerais à quelqu’un qui commence comme artiste ?
Prends des risques et amuses-toi.
Ne te preocupe pas de ce que les autres gens peuvent penser de toi.
Aies un bon réseau social.
Utilises les réseaux sociaux à ton avantage.
Aies confiance en toi-même.
Trouves toi un mentor en qui tu as confiance.
Sollicites des bourses, des résidences et des projets publics.
Fais des recherches et rapproches toi des gens que tu admires.
Ne te préoccupes pas d’être “bien équilibré”
Surtout, continues !